La 2ème chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt le 8 juin 2017 au sujet des conséquences de la prise de distilbène pendant la grossesse sur la fertilité du bébé devenue femme.

La victime, avait assigné le laboratoire UCB PHARMA distributeur du distilbène, se plaignant d’une infertilité due, selon elle, à la prise de ce médicament par sa mère pendant sa grossesse ; les experts médicaux désignés ont donc dû se prononcer sur la question de l’exposition in utéro au distilbène.

Les médecins experts ont conclu que les anomalies du col et de la cavité utérine de la victime étaient liées de manière certaine et exclusive à son exposition au distilbène tandis qu’elle se trouvait dans le ventre de sa mère.

La Cour d’appel avait donc condamné jugé que l’exposition à la molécule était la cause de l’infertilité de la victime.

Devant la Cour de cassation, le laboratoire soutenait de manière incidente que la Cour d’appel avait inversé la charge de la preuve en établissant un lien de causalité entre l’administration du distilbène et l’infertilité de la victime.

« L’exposition de Mme Y … au DES était la cause de son infertilité »

La Cour de cassation dans son arrêt du 8 juin 2017 considère que les anomalies morphologiques sont impliquées de façon certaine dans la genèse plurifactorielle de la stérilité de la victime et que c’est à bon droit que la Cour d’appel a jugé que l’exposition de la victime à la molécules était la cause de son infertilité.

« Mais attendu qu’ayant souverainement retenu, par motifs propres et adoptés, en se fondant sur les conclusions d’un rapport d’expertise judiciaire, que les anomalies du col et de la cavité utérine observées chez Mme Y… sont liées de façon certaine et exclusive à son exposition au DES, le lien entre l’insuffisance ovarienne et cette exposition étant discuté mais les anomalies morphologiques étant impliquées de façon certaine dans la genèse plurifactorielle de la stérilité de Mme Y…, la cour d’appel a pu en déduire, sans inverser la charge de la preuve, que l’exposition de Mme Y… au DES était la cause de son infertilité »

 

La Cour de cassation en profite pour examiner les chefs de préjudices auxquels la victime peut prétendre pour son indemnisation. Elle écarte ainsi :

– Le préjudice d’établissement :

« Mais attendu qu’ayant retenu que le préjudice d’établissement répare la perte de la faculté de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité d’un handicap, puis constaté que Mme Y…, qui réclamait réparation des conséquences de sa stérilité, avait adopté un enfant, ce dont il résultait qu’elle avait fondé une famille, la cour d’appel en a exactement déduit qu’elle n’avait pas subi un tel préjudice ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;  »

 

Le préjudice d’anxiété :

« Mais attendu que, sous couvert du grief non fondé de violation de l’article 455 du code de procédure civile, le moyen ne tend qu’à remettre en discussion devant la Cour de cassation l’appréciation souveraine, par la cour d’appel, de l’absence de préjudice d’anxiété dont elle a estimé qu’il ne pouvait résulter de la seule affirmation de principe d’une angoisse liée à la crainte de la survenance d’un cancer du sein ou des organes génitaux qu’aucun élément ne venait  » objectiver « , Mme Y… ne faisant pas l’objet d’une surveillance particulière et la nécessité où elle se trouve de se soumettre à des examens plus fréquents ayant été réparée au titre du déficit fonctionnel permanent ;
D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ; »

 

Les frais d’expertise médicale non judiciaire organisée par la victime en supplément de l’expertise judiciaire :

« Mais attendu qu’ayant souverainement estimé que la note critiquant le rapport d’expertise établie par le docteur Z… n’était pas indispensable dans le cadre de la présente procédure, la cour d’appel, par ce seul motif faisant ressortir que le coût de cette prestation résultant de l’initiative de Mme Y… n’était pas la conséquence de la faute de la société, a légalement justifié sa décision ; »

En revanche la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel et admet les préjudices suivants :

– Le préjudice sexuel :

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel qui n’a pas examiné la demande de la victime au titre du préjudice sexuel et notamment de la perte de libido :

« Attendu que, pour écarter l’indemnisation du préjudice sexuel réclamée par Mme Y…, l’arrêt retient que l’impossibilité de procréer a été réparée dans le cadre du déficit fonctionnel permanent ;

Qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de Mme Y… qui faisait valoir que son infertilité avait entraîné une perte de libido, la cour d’appel a méconnu les exigences du texte susvisé ; »

Les frais d’adoption que la victime a dû engager sont mis à la charge du laboratoire.

« Attendu que, pour n’indemniser que partiellement les frais exposés par Mme Y… à l’occasion de la procédure d’adoption à laquelle elle a eu recours en 2010, l’arrêt retient que la démarche relève de son choix personnel et ne peut être considérée seulement comme une conséquence de l’impossibilité d’une procréation, que la société ne peut ainsi être tenue d’en assumer intégralement les conséquences financières ;

Qu’en statuant ainsi, alors que, d’une part, elle avait imputé la stérilité de Mme Y… à son exposition au DES, d’autre part, elle avait relevé que son dossier de stérilité mentionnait un désir d’enfant depuis 2002, qu’elle avait subi en 2006 une hystéroplastie qui n’avait cependant pas permis de grossesse, que cette impossibilité de procréer avait été source de souffrances morales, ce dont il résultait que le recours à l’adoption était la conséquence directe de la faute de la société, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le principe susvisé ; »

et le préjudice moral du père de la victime témoin des souffrances de sa fille et reconnu par l’expert judiciaire,

« Attendu que, pour écarter l’indemnisation du préjudice moral de M. Y…, l’arrêt retient que la simple vue de la souffrance de sa fille à raison de sa stérilité ne peut suffire à caractériser ce préjudice ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que M. Y… était le témoin de la souffrance de sa fille dont elle avait relevé, se fondant sur le rapport d’expertise, que son importance était évaluée à 3 sur une échelle de 7 dans sa composante physique et à 4 dans sa composante psychique, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations ; »

Olivia Chalus Pénochet

Avocat

Spécialiste en droit du dommage corporel

Nice

Novembre 2017